Dans ce monde de plus en plus bruyant, au brouhaha incessant, où les flots d'informations, la plupart du temps sans intérêt, nous submergent par vagues successives, où il est de bon ton, pour être tendance, d'afficher son hyper connectivité, où l'on nous répète qu'il faut maintenant se fondre dans des collectifs créatifs afin de faire émerger l'homme nouveau et les pratiques nouvelles, j'oppose à cet éloge de l'horizontalité issu de la techno-utopie et l'illusion techniciste, un éloge de la verticalité.
Loin du bruit et de la fureur du monde et de sa vacuité, la nécessité de la solitude, du silence et de la lenteur s'imposent comme hygiène de vie et viatique de notre santé mentale. Aux analyses "des nouveaux philosophes de la globalité" et plus souvent de la bouillie intellectuelle hypermédia des prophètes et zélateurs éphémères de la fraternité collaborative, il est urgent de retrouver les chemins "d'une pensée critique" en mesure de déconstruire "la pensée vulgaire" celle dont Nietzsche écrivait justement "qu'elle ne pensait pas !"
Dans cet exercice, Sylvain Tesson se complait : sa pensée est au vitriol, une toile émeri à grains très fins qui vous décape jusqu'au sang en vous obligeant des perpectives intellectuelles inconnues. Mettre ses pas dans ceux de Sylvain Tesson est un risque, celui de faire un pas de côté, salutaire, en mesure de pourfendre toutes les doxa et les catéchismes. Ci-dessous quelques "paroles échappées du texte" : (Géographie de l'instant. Les équateurs - 2012 - 406 pages)
"Je suis convoqué à la police. Au commissariat, le gardien de la paix : "On n'arrive pas à vous joindre." Moi : "je n'ai pas de répondeur, pas de portable et je ne réponds pas au téléphone." Lui : "il va falloir arranger ça." Les nouvelles technologies sont les alliées de la police. Grâce à elles nous sommes localisables, sommés d'accourir à l'appel. Répondre au téléphone est la façon moderne de se mettre au garde-à-vous. Les petits engins que nous trimbalons conservent trace de nos conversations, gardent en mémoire la chronologie de nos coups de fil, le nom de nos correspondants, la durée de nos conversations, leur teneur peut-être ? On comprend que les policiers nous encouragent à nous connecter. les téléphones portables sont des flics de poche."
"Benjamin Constant en 1829 dans de la perfectibilité de l'espèce humaine : "il existe dans la nature humaine une disposition qui lui donne perpétuellement la force d'immoler le présent à l'avenir." Quand votre interlocuteur répond au téléphone alors que vous êtes occupé à lui parler, il manifeste cette disposition. Il zigouille sa conversation au prétexte que - comme les valets de Molière - on le sonne. Je préfère les gens qui renversent la proposition de Constant et ne laissent pas les illusions de l'avenir, les mensonges de l'espoir, les impostures de l'attente, les fausses promesses du changement et les coups de téléphone intempestifs s'infiltrer dans la citadelle de l'instant."
"Nous sommes entrés dans les temps de la "connexion permanente". Notre condition humaine s'apparente à une "condition numérique". "Même sans connexion, nul ne vit plus à l'écart du monde d'Internet." Ce sont là quelques formules tirées d'un essai de Jean-François Fogel et Bruno Patino : la condition numérique (Grasset). Les auteurs explorent les bouleversements qu'Internet a provoqué dans tous les champs de nos existences, se félicitent de l'accélération cybernétique, s'enthousiasment de la révolution qui point. Peut-on se permettre un bémol ? Et signaler que, souvent, Fogele et Patino confondent la puissance du réseau, son avancée fulgurante, sa force virale, sa capacité d'envahissement, avec sa valeur intrinsèque. Car la question est de savoir si la monstrueuse suprématie d'Internet peut réellement influer sur le cours de l'Histoire et de la pensée. Ce n'est pas parce que nous sommes tous connectés en permanence qu'il en sortira quelque chose. La mise en lien de chacun avec tous peut très bien s'avérer stérile. Disposer en un clic de tout le savoir du monde ne rend personne intelligent et Aristote a pu produire sa Métaphysique sans logiciel. Naîtra-t-il d'Internet un appel du 18 Juin, une harangue de Philippe aux troupes de Macédoine, un Capital de Marx ou un discours de Gandhi, c'est-à-dire un évènement qui fera basculer le destin des Hommes, infléchir le cours du réel ? On attend."
"(...) Ils oublient un peu vite, ces hypnotisés numériques, ces gourous cybernétiques ces virtuoses du virtuel qu'en matière de technologie, il y a une chose sous nos cheveux qui s'appelle le cerveau. Et que cette très ancienne invention est autrement plus mystérieuse, puissante, passionnante, évolutive et prometteuse que toute application numérique clignotant tristement sur un écran livide."
""Pourquoi m'as-tu abandonné ? " demande Jésus à son Père sur la croix. Moi, j'aurais posé la question dans la crèche en naissant..."
"J'arrive n'en retard à un dîner. En guise d'excuses, ce mot de Blondin : " Pardon, je n'ai pas trouvé un seul bistrot fermé."
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