Mon ami Daniel Boitier vient de me faire découvrir un texte d'un grand intérêt. Il participe, me semble-t-il, de la réflexion générale produite sur ce blog ces dernières semaines. A lire, relire et méditer... Merci encore à Daniel.
"Alors que le menteur est un homme d'action, le diseur de vérité, qu'il dise la vérité rationnelle ou la vérité de fait, n'en est jamais un. Si le diseur de vérité de fait veut jouer un rôle politique, et donc être persuasif, il ira, presque toujours, à des considérables détours pour expliquer pourquoi sa vérité à lui sert aux mieux les intérêts de quelque groupe. Et, de même que le philosophe remporte une victoire à la Pyrrhus quand la vérité devient une opinion dominante chez les porteurs d'opinion, le diseur de vérité de fait, quand il pénètre dans le domaine politique et s'identifie à quelque intérêt particulier et à quelque groupe de pouvoir, compromet la seule qualité qui aurait rendu sa vérité plausible, à savoir, sa bonne foi personnelle, dont la garantie est l'impartialité, l'intégrité et l'indépendance. Il n'y a guère figure politique plus susceptible d'éveiller un soupçon justifié que le diseur professionnel de vérité qui a découvert quelque heureuse coïncidence entre la vérité et l'intérêt. Le menteur, au contraire , n'a pas besoin de ces accommodements douteux pour paraître sur la scène politique; il a le grand avantage d'être toujours , pour ainsi dire, déjà en plein milieu. Il est acteur par nature; il dit ce qui n'est pas parce qu'il veut que les choses soient différentes de ce qu'elles sont- c'est-à dire qu'il veut changer le monde. Il tire partie de l'indéniable affinité de notre capacité d'agir, de changer la réalité, avec cette mystérieuse faculté que nous avons, qui nous permet de dire " le soleil brille" quand il pleut des hallebardes. Si notre comportement était aussi profondément conditionné que certaines philosophies ont désiré qu'il le fût, nous ne serions jamais en mesure d'accomplir ce petit miracle. En d'autres termes notre capacité à mentir- mais pas nécessairement notre capacité à dire la vérité- fait partie des quelques données manifestes et démontrables qui confirment l'existence de la liberté humaine."
In La crise de la culture : Politique, vérité et mensonge 1- Hannah Arendt - page 318
Faudrait pas confondre «vérité» avec «capacité de créer». La meilleure définition de vérité que je connaisse est simplement une affaire de localisation : «been there, done that, hour, date».
Si on parle de la «réalité» qu'on essaie de faire croire comme étant la vérité, alors on parlera d'accord sur ce qui est supposé être là. La terre est plate et la pluie vient du ciel. Ça a été la réalité pendant des siècles.
Ça c'est sans doute la «vérité» du politicien. Mais ce n'est qu'une réalité imposée.
Quant à la capacité de créer, ça ressemble à dire «nous irons sur la lune», «nous faisons disparaître la pauvreté», «nous nous libérons de l'oppression». Ça c'est une autre catégorie de politiciens qui sont capables de dire ça.
Et ce n'est pas parce qu'on a manqué notre coup une fois qu'on est obligé de renoncer.
Rédigé par : Denys Lamontagne | 01/04/2010 à 14:45